David GUIRAUD
« La culture mange la stratégie au petit-déjeuner » Peter Drucker
Si pour les dirigeants français l’urgence de se transformer paraît aujourd’hui acquise dans les mots, sa mise en œuvre est loin d’être engagée dans les faits.
Le déni au plus haut niveau reste fort. Il confirme que la première des menaces pour un dirigeant est de croire qu’il a compris, et de déléguer son engagement à quelques expédients technologiques ou marketing afin de préserver un modèle économique déjà miné de l’intérieur.
Plus qu’une déclaration, transformer son entreprise implique un engagement de tous les instants. CEO signifie aujourd’hui Chief Engagement Officer.
La première étape de cet engagement est, d’abord, de réussir sa propre transformation personnelle, résultat d’une intime et durable compréhension du nouvel écosystème.
C’est sur cette nouvelle fondation uniquement qu’il pourra réellement faire muter la culture de son entreprise, avant de s’attaquer à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie.
C’est à ces trois niveaux, et dans cet ordre, que le dirigeant doit agir pour réussir La Grande Traversée vers les nouveaux continents numériques.
Comprendre, Apprendre, Transformer et Innover sont les maîtres mots de la démarche CATI développée par VISCONTI qui permet de conduire une nouvelle expérience dirigeant, structurée et adaptée aux nouvelles conditions de marché.
Il lui faut plonger au cœur de l’écosystème, ne plus être simplement sur Internet mais dans Internet.
Devenir un acteur visionnaire, agile et pertinent plutôt qu’un suiveur défensif, prudent et déconnecté.
Comprendre nous impose avant tout de maîtriser les leviers clefs du nouveau monde : l’hyper expansion, la plateformisation et le retournement de culture.
L’hyper expansion se traduit par une chute massive des barrières à l’entrée, favorisant une concurrence d’un nouveau genre, et ce dans tous les domaines.
La technologie facilite et génère, en effet, une croissance naturelle du nombre d’acteurs et de consommateurs. Les uns et les autres forment aujourd’hui une multitude qui produit et consomme à la fois, entraînant soudain une hausse rapide du niveau de concurrence, servie par une expérience client sans cesse renouvelée et améliorée.
Au « mass market » succède le « sur-mesure de mass » structuré par la maîtrise indispensable du nouvel or noir que sont les datas. Amazon en fait tous les jours la remarquable démonstration, disruptant des pans entiers du retail.
Cet effondrement des monopoles traditionnels repose aussi sur la capacité des nouveaux acteurs à intégrer dans leur écosytème l’intelligence et la valeur ajoutée extérieures, comme le prouve le succès d’Apple avec ses applications.
La plateformisation est la conséquence directe de cette ouverture massive. Elle est le résultat d’une disruption continue et inéluctable de la plupart des modèles.
Par leur agilité, leur art de l’innovation et leur sens de l’expérience client, les acteurs les plus performants se sont glissés entre le produit et l’utilisateur final, contrôlant ainsi usage, monétisation et valeur.
Dans la guerre de l’attention et du temps disponible ils ont pris la seule place possible, celle de numéro 1 sur un podium qui ne comporte qu’une place.
Les GAFA sont le symbole de ces nouveaux monopoles qui captent la majorité de la valeur produite par d’autres dans une logique de rendements croissants radicalement inverse de la logique des rendements décroissants des économies traditionnelles.
Booking, Blablacar, Netflix, autant d’acteurs inconnus il y a une décennie qui mettent désormais à mal les plus belles marques du tourisme, du transport ou de la télévision.
Le retournement de culture se caractérise par le basculement du « product centric » des organisations héritées de l’ère industrielle au « client centric » propre à ces nouveaux acteurs.
Chez ces derniers « the client is the boss ». Obsession du CEO, nerf de la guerre de toute l’organisation, tout part du client avant de partir du produit. Ce dernier est l’aboutissement d’un travail d’innovation permanent qui renverse l’organisation historique pour passer du silo au lego, du vertical à l’horizontal, du plan au projet.
Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, appelle ça la culture « Day One », celle du premier jour, de l’agilité de la start-up qui ne se permet aucune zone de confort, au risque de mourir d’un concurrent plus imaginatif et agressif que soi face à un client toujours plus exigeant et infidèle.
Culture hybride qui mêle hyper centralisation et large décentralisation, ambition de la vision et excellence de l’exécution. La nouvelle règle d’or de l’expérience dirigeant.
Dans un environnement en mutation profonde et permanente, comprendre ne suffit pas. Apprendre devient la condition essentielle du succès.
Mais apprendre suppose en premier lieu de désapprendre, c’est-à-dire remettre en cause nombre de ses fondamentaux, s’ouvrir plus que de nature au questionnement, et sortir d’une posture assertive.
Exercice particulièrement difficile pour un dirigeant. Comme le disait Keynes, « ce qui est difficile n’est pas d’accepter les idées nouvelles mais d’oublier les idées anciennes ». Cette nouvelle attitude de veille ne peut ni ne doit être déléguée.
Elle implique une modification radicale des pratiques et de l’agenda du dirigeant, orientés vers les nouveaux usages, lui permettant ainsi de vivre lui-même et de confronter au plus près une multitude d’expériences client différentes.
De l’utilisation d’applications de tous secteurs, au mentoring de start-up, en passant par l’immersion dans des environnements éloignés et particulièrement innovants, sans oublier les échanges prolongés avec les clients les plus en pointe dans la quête de nouvelles solutions :
Tout doit être mis en œuvre pour faire de lui un des premiers capteurs d’un monde en recomposition continue.
C’est le point de départ incontournable d’une transformation culturelle réussie de l’entreprise et de ses collaborateurs par un effet de viralité que seul le dirigeant peut réellement engager et amplifier dans la durée.
Au défi culturel et humain vient s’ajouter une course contre la montre qui oblige à structurer la démarche et maintenir un rythme soutenu, dont le dirigeant est le premier responsable.
Comme le disait volontiers Winston Churchill : « si vous ne prenez pas le changement par la main il vous prendra à la gorge ».
Ce défi du temps impose une vraie vision stratégique de long terme, couplée à une excellence d’exécution de court terme qui souvent fait défaut, tant elle est volontiers déléguée à ceux qui privilégient toujours encore un peu de confort au détriment d’une salvatrice prise de risque.
La gestion de ces dilemmes ne peut être déléguée ni tranchée à un autre niveau que celui du chief engagement officer dont une des premières décisions sera d’acter l’urgence avant de mettre en place de nouveaux indicateurs de performance.
Un seul objectif : faire prendre conscience à tous que les priorité sont changé.
Dans une époque de révolution silencieuse, celle de l’information, profondément différente de la révolution industrielle marquée par le bruit et la transformation des paysages, il lui faut envoyer des signaux visibles des transformations engagées et de leur progression.
C’est la condition de la mise en œuvre réussie d’une nouvelle stratégie qui, s’appuyant sur une culture rénovée, devra être progressivement exécutée par le plus grand nombre, et non réservée à quelques experts ou start-up maladroitement intégrées avant d’être définitivement étouffées.
Ce basculement suppose, évidemment, que la mission de l’entreprise ait été préalablement revisitée afin de lui permettre d’embrasser un champ d’action potentiel le plus large possible, dans une perspective de plate- formisation dont on a souligné le caractère décisif dans le nouvel écosytème numérique.
Comme le rappelle volontiers Jeff Bezos « si vous restez dans votre cœur de métier vous êtes en danger ».
Le parcours d’Amazon témoigne à ce jour du succès de sa démarche.
Si le CEO doit être le Chief Engagement Officer, il doit être aussi celui qui met au centre la culture de l’expérience client et donc de l’innovation.
Celle-ci n’est pas naturelle, tant elle brise les habitudes, déplace les lignes d’autorité, et remet le risque au centre du jeu dans une démarche constructive d’apprentissage par l’expérimentation continue et son cortège d’échecs formateurs.
Toute tentative de nouvelle stratégie est vaine si elle ne s’accompagne pas de cet indispensable saut culturel et pratique dont le dirigeant doit être le premier acteur et le meilleur évangélisateur.
Cette obsession de l’innovation doit s’incarner prioritairement dans son agenda, son mode de leadership et les mesures de performance de ses collaborateurs. Elle doit aussi impacter directement l’organisation mise en place pour en favoriser l’émer- gence, afin d’assurer le développement viral de cette démarche d’ouverture permanente.
La maîtrise par le dirigeant des techniques d’innovation (Design thinking, Lean start-up, Business model Canvas etc.) est aujourd’hui aussi importante que celle des connaissances techniques traditionnelles.
Elle ne saurait être une fin en soi ou un simple levier de communication mais bien la voie privilégiée pour garantir que toute idée nouvelle se transforme en revenus et profits et dessine ainsi les relais de croissance de l’entreprise.
On le voit les défis sont nombreux, comme les obstacles et les freins qui les accompagnent. Les relever suppose une réelle volonté du dirigeant de ne plus simplement longer les côtes mais d’affronter le grand large, comme l’ont fait au xvie siècle les grands explorateurs qui ont transformé notre vision du monde, nos imaginaires et nos économies.
L’aventure est passionnante pour tout vrai leader, comme elle doit l’être pour l’ensemble de ses collaborateurs, si celui-ci sait les mener vers l’avenir en donnant un sens, un rythme et une perspective ambitieuse à la Grande Traversée dans laquelle il leur demande de s’engager avec lui.
« La culture mange la stratégie au petit-déjeuner » Peter Drucker
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