Pour ce 16 ème épisode des Visconti Talks, Fabienne Saugier, Partner chez Visconti reçoit Vincent Feltesse, président de la SAS NFU Prod.
NFU Prod. se positionne comme une plateforme de production et d’exploitation immobilière à impact.
Le parcours de Vincent
Diplômé d’HEC, Vincent est avant tout un passionné d'histoire. Il est titulaire d’une maîtrise d'histoire en Sorbonne, d’un master et d’un DEA d'histoire contemporaine à Sciences Po. Il est aussi un homme de conviction, notamment sur le plan social et sociétal, et passe la majeure partie de sa carrière dans le monde public, essentiellement en politique puisqu’il a été un élu et conseiller d'élus durant vingt-cinq ans, avant de cofonder une start-up en 2022.
Plus précisément, Vincent a tout d’abord été journaliste, chercheur et « porte-plume ». Il démarre ensuite une carrière dans le monde des collectivités locales et des cabinets ministériels.
En 2001, à 33 ans, il est élu maire de Blanquefort, une commune de 16 000 habitants près de Bordeaux.
En 2007, il devint Président de la Métropole de Bordeaux.
En 2012, il est élu député, puis rejoint l'Elysée en 2014 comme Conseiller politique du Président Hollande.
En 2017, il devient magistrat à la Cour des comptes, où il intervient essentiellement dans les secteurs santé, médico-social et retraite.
En septembre 2022, il cofonde la société NFU Prod. et en prend la Présidence.
Vincent Feltesse est notamment auteur de :
- Et si tout s’était passé autrement, chronique secrète de l’Elysée sous François Hollande, ed. Plon, 2017
- Demain est aujourd’hui, récit amoureux de Bordeaux, ed. Le bord de l’eau, 2014
- La décennie bordelaise. Quelle politique urbaine à l’heure des métropoles ? Entretiens avec Jean Viard, ed. L’Aube, 2012
Qu’a retenu Vincent des moments clés de son parcours et comment les met-il à profit dans sa mission actuelle ?
L’un des moments clés de la carrière de Vincent fut sa mission de maire de Blanquefort, en Gironde, de 2001 à 2012.
Au-delà de la facette politique et médiatique, être maire c’est fondamentalement être un patron d'équipe, aussi bien avec les élus (le Conseil municipal) qu’avec l'administration. À l'époque, l'équipe de Blanquefort était composée d’une centaine de personnes côté Administration, et de 33 conseillers municipaux.
Il faut gérer un budget et animer ces équipes. Dans sa mission, il y a le quotidien parce qu’un maire, c'est celui qu'on peut aller déranger tout le temps, pour tout, car il est élu pour ça. Dans le même temps, il faut qu’il ait un projet stratégique pour sa commune. Il y a nécessité de conjuguer ces deux échelles.
De plus, l'action publique étant aujourd’hui extrêmement éclatée entre la commune, l'intercommunalité, donc en l'occurrence la métropole de Bordeaux, le département, la région, l'État et les acteurs privés, le maire a un rôle d’assembler et d’ambassadeur de son territoire pour faire progresser des grands dossiers, obtenir des subventions, inventer des concepts, et faire venir des personnalités dans sa commune qui joueront le rôle à leur tour d’ambassadeur.
Quels enseignements Vincent a-t-il tirés de cette période ?
Tout d'abord l’aspect humain. Lorsque les gens vous sollicitent pour tout, quand c'est vous qui annoncez à une famille le décès d’un enfant, lorsque vous êtes aux côtés des ouvriers de Ford parce que l'usine va fermer, quand au contraire, vous arrivez à aider une entreprise à se développer, ou un jeune à faire des études, cette « épaisseur humaine » prend toute son importance.
Autre enseignement : l'apprentissage d'une forme de leadership. Avec la constitution et l’animation des équipes lors de la campagne électorale et l’animation/gestion des équipes municipales après l’élection, y compris d’équipes bénévoles ou semi-bénévoles. En France, 98% des 500 000 élus ne sont pas ou presque pas rémunérés.
En résumé, Vincent retient surtout :
- la métier profondément humain du maire
- la mission à trois niveaux que l'on retrouve chez le dirigeant d'entreprise : le rôle d’ambassadeur, la gestion de l'aller-retour entre le court terme, le quotidien et le long terme, la stratégie
- La constitution et l’animation d’équipes, qui nécessite de développer son leadership
- Mais aussi le côté « technicien ». Si le maire ne rentre pas dans le détail des dossiers, bien évidemment aidé par son administration, il perd à un moment sa crédibilité vis-à-vis de ses interlocuteurs.
Vincent a assumé différentes fonctions à Bordeaux Métropole de 2001 à 2020, dont la Présidence de 2002 à 2014. Qu'a-t-il retenu de cette expérience ?
En premier lieu, le changement d’échelle.
Un changement d’échelle sur le plan financier et humain, puisque la métropole de Bordeaux gère un budget d'1,9 milliards d’Euros et compte près 9 000 agents, en intégrant ceux liés à la délégation de service public (gestion de l’eau, des déchets, du tramway, …).
Un changement d’échelle sur le plan temporel, les négociations de délégation de service public pouvant porter sur des durées de 7 à 25-30 ans. Et se chiffrant en milliards d’Euros.
D’une certaine façon, la métropole peut être comparée à une ETI. .
En second lieu, une gouvernance plus complexe.
Le Président de Bordeaux Métropole n’est pas élu par la population, mais par des représentants des communes, en l'occurrence les maires, et un certain nombre de conseillers métropolitains. Le Président doit donc créer une sorte de consensus à l'intérieur des 27 communes qui représentent 800 000 habitants. En 2002, facteur de complexité supplémentaire, la gauche et la droite étaient à quasi-parité, avec 61 conseillers de la gauche plurielle, et 59 de droite. Vincent était Président et son premier Vice-Président était Alain Juppé. Il y avait entre eux une forme de cogestion/émulation. Chacun défendait ses intérêts, mais aussi, cherchait à les dépasser. Modèle assez étonnant mais « terriblement efficace ».
Troisième dimension : le projet stratégique et la nécessité d’inventer ce qu'était la métropole. La métropole a des compétences extrêmement techniques. Les gens avaient tendance à dire « Il n'y a pas de projet politique derrière ça ». Vincent, lui, avait le même sentiment que la population, qui savait ce que signifiait « habiter une métropole » : vivre dans une commune, travailler dans une autre, avoir des loisirs dans d’autres communes. Il fallait donner une vision stratégique globale de cela. Dans cette optique, ils ont créé la Fabrique métropolitaine, qui regroupait quelques élus, mais surtout l'ensemble des acteurs, y compris économiques, présents sur la métropole. On y retrouvait cette notion de collectif d'invention et nécessairement d'extrême technicité. C'est ainsi qu'ils sont parvenus à tirer vers le haut l'ensemble du territoire, avec un levier très puissant : l'arrivée de la Ligne à Grande Vitesse à Bordeaux.
À titre personnel, qu’a appris Vincent dans l'exercice du pouvoir et l'art de diriger, de son parcours d’élu dans la métropole de Bordeaux ?
Vincent a acquis l'art de la négociation dans un environnement très complexe.
Il a vécu une « montée en gamme » professionnelle, dans un traitement très direct des dossiers avec Alain Juppé.
Et il a surtout appris que, même lorsque les contraintes juridico-technico-financières sont extrêmement importantes et qu’apparemment, il n'y a pas de marge de manœuvre, il ne faut jamais accepter les évidences, pour toujours trouver des marges de progression pour un territoire. Ce qui lui semble pouvoir se retrouver en entreprise.
Lors de sa mission à l'Elysée entre 2014 et 2017, Vincent devient Conseiller du Président Hollande. Quelques enseignements ?
Avant l'Elysée, Vincent se présente à Bordeaux aux municipales de 2014 contre Alain Juppé.
Alors qu’il avait été brillamment élu en 2001, puis en 2008 à la présidence de Bordeaux Métropole, qu’il était le plus jeune Président de métropole en France, Vincent se lance un défi. L'échec fut terrible. Après les élections de 2014, il perd tout.
C'est une situation qui l’a fait réfléchir sur la fragilité et qui lui a enseigne l'humilité.
Finalement, il rejoint l’Elysée en 2014 comme Conseiller politique du Président Hollande pour trois ans, avec l'expérience très particulière que l’Elysée représente.
Il vit l’implosion de la gauche et l’explosion du pays avec la vague d'attentats en 2015. Et observe que la moindre erreur est fatale , dans cette hyper-accélération et cette densité du temps élyséen.
Dans ce contexte, Vincent apprend, au-delà de la vitesse, à savoir temporiser. Le pouvoir symbolique de l'Elysée est extrêmement important. La manière dont on réagit ou dont on ne réagit pas a un impact très fort. Et puis, il y a aussi tous les gens qu’il côtoie, les dirigeants des grands puissances. C'est une expérience d'une intensité incroyable.
Après cette expérience où il est au cœur du pouvoir, aux côtés du président Hollande, Vincent quitte la politique en rejoignant la Cour des comptes en 2017. Quels changements cela a-t-il introduit pour lui ?
Pour Vincent, la Cour des comptes est une fantastique école de rigueur.
En tant que magistrats, les membres de la Cour des comptes ont un pouvoir juridictionnel.
Après ces périodes trépidantes, il y a ce changement de rythme qui permet aussi de revenir, d'une certaine manière, sur les politiques qu'on a soi-même bâti. Lorsque l’on est à l'Elysée, on travaille sur le budget de l'État, le CICE, la politique industrielle, … et au final, quels en ont été les résultats ?
La rigueur et le sujet de l'évaluation et du contrôle sont aussi essentiels lorsqu’on dirige une entreprise. Vincent a décidé très récemment de rejoindre le secteur privé. Et pas de n'importe quelle façon : il co-fonde une start-up. Pour quelle raison ?
Pour Vincent, c'est tout d’abord une envie et des rencontres humaines. Il co-fonde cette start-up, NFU Prod., avec deux associés principaux : Benjamin Delaux, spécialiste de l'immobilier depuis un peu plus de vingt ans, et Kevin Polizzi, issu de l'univers de la tech. Il y a donc chez NFU Prod. une dimension à la fois immobilière et numérique, domaines que Vincent a aussi travaillé lors de son parcours d’élu.
Il y avait chez Vincent une envie de passer dans le privé, et de découvrir cet univers. Et également une envie de créer, d’inventer un produit, un nouveau concept et pas simplement d’intégrer une grande entreprise, suite logique de son parcours.
NFU Prod. fonctionne comme une société de production dans le cinéma, mais dans l'immobilier. La société conçoit des concepts, les crée, les fait bâtir, puis les exploite.
NFU Prod. axe ses projets dans le numérique, la santé et la culture.
Quelques exemples.
Dans le domaine de la culture, NFU Prod. a été lauréat d'un appel à candidatures de la SAMOA sur l'île de Nantes, autour de la consolidation de la filière musicale. Ils proposent un bâtiment de 6 000 mètres carrés avec des studios d'enregistrement, du coworking, des bureaux notamment pour la SACEM, mais aussi des lieux de résidence pour artistes. NFU Prod. a agrégé la communauté musicale qui portait ce projet depuis 5 à 10 ans, a convaincu les pouvoirs publics, trouvé les financements en s’adossant à une Magellan, une grosse foncière nantaise. Ils vont ensuite construire le lieu avec des entreprises de bâtiment général, puis en assurer l'exploitation.
Dans le domaine de la santé, NFU Prod. a deux projets en cours – à Bordeaux et Toulouse. Ils conçoivent des pôles de santé "nouvelle génération". Ceux-ci se rapprochent du profil des dispensaires, mais intègrent un mini-service d'urgence, des spécialités médicales pour qu'il y ait des parcours de soins. L’ensemble est mis en place avec l'esprit du coworking, intègre de la recherche en santé publique, une approche tech extrêmement importante avec des systèmes d'information qui communiquent bien entre eux ; et du data mining, qui n’existe pas en médecine de ville.
Sur chaque projet, NFU Prod. a systématiquement cette approche assez globale, du fait de l’expérience complémentaire des Fondateurs.
L’aventure a débuté en septembre 2022 et près de 15 000 mètres carrés sont déjà « dans les tuyaux »
Quelle est l’ambition de NFU Prod. pour les deux ou trois prochaines années ?
Les premières victoires ont été assez rapides mais il en faut d'autres.
La société va devoir continuer à se structurer et à recruter.
Second point : sur l'aspect santé, NFU Prod. est en train d'inventer une marque pour que les gens comprennent bien la spécificité de ce qui leur est proposé. Il y a aujourd’hui les médecins de ville, les hôpitaux et cliniques. NFU Prod. est sur une proposition intermédiaire, qui se rapproche de ce qu’on appelle aux Etats Unis les Outpatient Centers.
Comment faire émerger ce concept en France ? Comment bien spécifier la différenciation de l’offre de NFU Prod. auprès des autorités publiques, aussi bien locales que des Agences Régionales de la Santé ?
Il sera aussi nécessaire que la société affine son degré d'ambition pour, à la fois la porter à haut niveau, mais ne pas non plus « exploser en vol ». Il y aura donc nécessairement la question de la consolidation. Et peut-être en 2023, celle d’un levée de fonds.
Gagner des marchés, construire des produits et affiner le concept sont les objectifs 2023/2024 de NFU Prod.
Pour conclure, quelles réflexions à l'issue de ce podcast ?
Vincent compare en synthèse le monde du public et celui de l'entreprise.
Il y a bien sûr des similitudes sur les sujets du leadership, du collectif, de l'exigence professionnelle, de la gestion de l'échec, de la coordination urgence/stratégie.
Cependant, dans une start-up, la question du chiffre d'affaires et du cash impriment une temporalité extrêmement courte. En politique, on peut aussi tout perdre à un moment. Cependant, lorsqu’on est élu, c’est pour cinq, six ans ou sept ans, et il y a ainsi une capacité à se projeter. Dans l'entreprise, même si la société connaît un démarrage prometteur, Vincent, comme lorsqu’il était élu local, demeure très pragmatique et ne perd pas de vue l’importance du chiffre d’affaires et de la trésorerie.