Dialogue avec un patron de l’industrie textile française « engagé » et « visionnaire »

Épisode 24

 29:18

Dialogue avec un patron de l’industrie textile française « engagé » et « visionnaire »

Dans ce nouvel épisode des VISCONTI TALKS, Thierry DUPAYS dirigeant d’entreprise et partner coach chez VISCONTI, reçoit Paul de Montclos, PDG de l’entreprise GARNIER-THIEBAUT, spécialisée dans le métier du tissage et de la confection textile au service du grand public et des établissements de prestige de hôtellerie internationale.

La raison d’être de Paul de Montclos c’est la sauvegarde du savoir-faire d’exception du secteur textile. Paul nous raconte dans ce podcast, comment depuis 28 ans, il gère cette entreprise et comment il a réussi lui faire traverser la crise du textile. Il nous livre également les motivations et convictions qui l’ont poussé à être dirigeant de cette société depuis 28 ans.

Thierry Dupays, coach et Partner VISCONTI, accueille aujourd’hui Paul de Montclos, PDG de l’entreprise GARNIER THIEBAUT, spécialisée dans le domaine du tissage et de la confection textile au service du grand public et des établissements de prestige de l’hôtellerie et de la restauration.

 

GARNIER-THIEBAUT est aujourd’hui une entreprise qui poursuit sa croissance avec une augmentation de 30 % du Chiffre d’Affaires en 2022, mais comment Paul de Montclos est-il devenu le patron de cette entreprise ?

Paul est arrivé dans les Vosges il y a plus de 28 ans. Il avait à la base un mandat de trois mois pour faire un diagnostic de la situation de l’entreprise qui était vraiment en très grande tension. Un audit a été réalisé en partenariat avec la Préfecture pendant ces trois mois et Paul a considéré qu’il pouvait y avoir une solution potentielle pour l’entreprise. Cela nécessitait de réinvestir et donc d’avoir la confiance des salariés, des élus, et de l’administration. Et puis ensuite le soutien des actionnaires. La famille de Paul était actionnaire de cette entreprise, ce qui a heureusement un peu facilité les choses.

Néanmoins il s’est « engagé » pour faire comprendre les enjeux et l’importance de l’investissement et pour pérenniser l’entreprise dans son écosystème.

 

C’est comme cela que Paul est devenu patron de l’entreprise ?

En effet. Rien ne le prédisposait à être patron dans le textile, bien que sa famille soit dans le textile depuis 15 générations. Paul est dyslexique et rencontrait de grandes difficultés à l’école. Son père lui disait d’ailleurs : « Quitte à être bon à rien, autant faire travailler les autres » et Paul a appliqué cette maxime. Paul a démarré sa carrière dans l’automobile puis a continué dans l’optique avant d’entrer dans l’univers du textile.

 

Quels ont été les moteurs, motivations ou convictions qui ont fait continuer Paul dans ce métier de dirigeant au sein de la même entreprise, et ce durant plus de 28 ans ?

 

Quand Paul est arrivé à la tête de GARNIER-THIEBAUT il fallait faire un plan de restructuration. Il a donc convoqué les élus et délégués du personnel en leur demandant de le faire et cela a enclenché une franche discussion. Paul a écrit très vite dans la charte d’engagement l’objectif de l’entreprise : la pérenniser.

L’entreprise possédait un vrai savoir-faire et l’attachement des collaborateurs était fort. Il a fallu faire preuve d’imagination et de résilience en tant que patron, mais aussi dans la conviction des acteurs investis : salariés, banquiers… La volonté de pérenniser cette entreprise a aussi été inscrite dans la charte Qualité.

Cela a été un moteur essentiel pour les salariés, qui ont compris la stratégie novatrice de l’entreprise qui consistait à être extrêmement réactifs, et très créatifs pour pouvoir proposer des produits de très haute qualité ; en petite série, a contrario des pratiques usuelles de l’industrie.

En tant qu’industriel, il faut généralement produire de gros volumes pour baisser les prix mais GARNIER-THIEBAUT a pris le contre-pied en redonnant ses lettres de noblesse à l’artisanat. La bataille des prix était perdue, il fallait donc trouver d’autres arguments pour mieux vendre plus cher.

 

Quels sont les défis auxquels Paul est le plus vigilant et comment fait-il pour y faire face ?

 

Le PDG doit être en permanence en vigilance pour mesurer les risques. Il y a une multitude de risques inattendus comme le manque d’eau par exemple pour une région comme les Vosges. Il faut donc être en mesure de s’adapter constamment à ce genre de situation.

Un des risques auquel il faut faire face est celui du recrutement car il est très difficile de recruter. Avant, il était beaucoup plus facile de trouver des collaborateurs, maintenant il y a une difficulté à recruter, les choses sont constamment en train de changer et il faut être préparé à ces risques fluctuants.

Il faut aussi s’adapter dans l’accompagnement de ses clients. Dans cette optique, GARNIER-THIEBAUT a su faire preuve d’une grande capacité à accompagner et à trouver des solutions sur mesure pour ses clients.

Paul évoque l’« obsolescence émotionnelle », qui est un phénomène qui consiste à vouloir changer un article alors qu’il est encore en parfait état voire juste acheté.
Certaines marques en ont fait une vraie stratégie en noyant les marchés avec une très quantité d’articles.
GARNIER-THIEBAUT, elle, élabore des produits «inusables » et doit par conséquent créer de nouvelles envies pour que les clients achètent de nouveaux produits de GARNIER-THIEBAUT.

 

La transmission d’entreprise est un grand défi dans l’entreprise, selon les statistiques publiées en 2022 par la CCI, 48 % des dirigeants de TPE / PME ne pensent pas à transmettre, et 63 % des patrons de plus de 65 ans pensent qu’il est trop tôt pour y réfléchir. Comment réagit Paul face à ces informations ?

 

Paul comprend ces chiffres car une entreprise représente en quelques sortes le « bébé » de son patron. Paul est dans un contexte particulier puisqu’il fait partie d’un groupe familial s’étant transmis de génération en génération. Dans leur famille, ils ont décidé rapidement de faire en sorte que les enfants intéressés par l’entreprise familiale aient les mains libres dans
la passation.

Le fait de l’avoir décidé très tôt lisse les problèmes et permet de les anticiper. Il s’agit d’initier les membres de la famille au fur et à mesure. Et cela en utilisant notamment le pacte Dutreil qui permet de transmettre le patrimoine d’une entreprise sans que sa valeur et ses richesses ne soient impactées.

Paul conseille de s’y prendre suffisamment tôt, cela est rassurant, même pour les collaborateurs. Mais chaque cas est particulier, il est donc difficile de généraliser. Il faut avoir le courage d’accepter que l’avenir appartient à la génération suivante.

 

Paul a commencé par fonder Terre Textile dans les Vosges, puis France Terre Textile.
Quelle est la vocation de France Terre Textile ?

 

Tout cela est né d’un constat. En tant que Président du syndicat de textile de l’Est, Paul avait évoqué l’idée de construire ensemble. Ce qui était loin d’être évident, car la filière textile dans les Vosges était certes complète mais pas homogène : chaque entreprise était dans son secteur. Paul a fait prendre conscience à ses collègues qu’il valait mieux discuter plutôt que de subir les assauts de la mondialisation. L’idée a été de valoriser leurs savoir-faire locaux.

À l’époque, les IGP n’existaient pas, ils sont donc partis d’une réflexion autour des AOC. Une des inquiétudes et des enjeux était de pouvoir démontrer traçabilité dans la filière textile. C’est ainsi qu’est née cette nouvelle notion d’étiquetage environnemental. Par ailleurs il fallait valoriser cette filière et ce travail en mettant en avant et en commun les savoir-faire. Le projet de Terre Textile consistait à garantir aux consommateurs que le produit était authentiquement fait dans les Vosges.

Il y a à présent six régions Terre Textile en France. Elles tiennent à l’ancrage local et sont fédérées autour d’une fédération appelée France Terre Textile dont Paul assure la Présidence. La mission de France Terre Textile est de porter la filière textile et de pérenniser les métiers du textile. 95 % du textile en France aujourd’hui est importé. Il y a donc un vrai risque de perte de souveraineté dans un secteur fragile. Il faut y être attentif.

 

Comment les collaborateurs de Paul le voient-ils ? Quels seraient, selon Paul, les trois mots qu’ils pourraient utiliser et pourquoi ?

 

Paul pense qu’ils le qualifieraient d’« engagé ». Il emploie souvent ce mot lors des recrutements, car il veut engager des collaborateurs capables d’assumer leurs décisions. Son rôle de PDG est alors de leur donner les moyens, dans un cadre défini avec les collaborateurs, de pouvoir assumer leur fonction et être engagé dans leurs choix.

Le deuxième mot serait « résilience ». Car Paul possède une forte capacité à rebondir. Le troisième mot : « fiable ». Un des plus grands plaisirs pour Paul a été d’entendre l’un de ses anciens délégués syndicaux déclarer : « Paul ne nous a jamais trahis ».

 

Est-ce que Paul a de nouveaux projets en tête pour GARNIER-THIEBAUT ?

 

Paul a plein de projets. Il pense qu’une entreprise PME Industrielle doit être en mouvement permanent pour survivre. Ses projets sont aussi dictés par le contexte : intégrer plus d’énergies renouvelables, réduire sa consommation d’eau, se développer à l’international, doter les équipes des meilleurs outils… GARNIER-THIEBAUT a une multitude de projets.

 

À quoi ressemble la vie de Paul en dehors de la sphère professionnelle ?

 

Paul a aussi des responsabilités associatives. Il est impliqué dans différentes associations, y compris caritatives. Il a racheté avec son épouse un fonds de commerce et a ouvert un bar-restaurant associatif et solidaire. Ils y rassemblent des gens d’origines et de trajectoires différentes autour d’un projet.

 

Est-il important pour Paul de communiquer et de s’exposer au media ? Qu’est-ce qui l’a décidé à le faire ?

 

Cela n’est pas quelque chose de naturel pour Paul, mais il y a des messages plus porteurs que d’autres. Défendre l’industrie textile lui tient vraiment à cœur, défendre ses équipes est également très important. Il faut pousser les gens à parler car il n’est pas possible de trouver de solutions à des problèmes qu’on ignore, ni d’avancer seul. Il faut donc toujours partager.

 

Les trois conseils de notre Partner coach Thierry Dupays :

 

1. Prévoir et anticiper sa succession à la tête de l’entreprise pour que l’entreprise puisse continuer à exister, à se développer et être pérenne au-delà du départ de son patron

2. « Garder l’entreprise en déséquilibre » Toujours aller de l’avant et rester aux aguets face aux défis et opportunités (l’immobilité c’est un peu la mort pour une entreprise).
« Poser les revolvers dans le vestibule » c’est quelque part savoir négocier une trêve et s’organiser avec les parties prenantes (et y compris les concurrents) pour que chacune des parties prenantes se concentre sur les enjeux et intérêts communs (ex.ceux de la filière) qui dépassent les simples intérêts individuels

3. Avoir la capacité d’oser. Paul ose dans tout ce qu’il fait, et, comme lui, il faut savoir oser, et oser en prenant du plaisir pour entraîner ses équipes vers la réussite.